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Les coques de Catherine

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Les coques de la Catherine.

Traduction en français du texte en béarnais (Lettre 50 de Mars 2017 pages 2,3,4)

La Catherine du Brespè avait comme on dit « fait quelque peu la vie ». Elle avait été trouvée dans un berceau d’osier, sous le porche de l’église. Pas tombée du ciel sûrement mais sortie d’une bonne maison comme les dentelles dans lesquelles elle était langée le laissaient deviner. Recueillie par l’Assistance publique, elle fut adoptée par un couple qui n’avait pas d’enfant. La mère cousait pour le château de la Hitte et la Catherine était toujours habillée comme une petite demoiselle. Jolie et délurée, elle attirait les soupirants comme l’éclair attire l’orage.

Quand elle eut vingt ans, elle plut au Monsieur du château. Il la prit à son service pour tenir compagnie à sa femme qui s’ennuyait. Elle fut chargée de s’occuper des chambres. Les mauvaises langues, et dieu sait s’il y en avait, dirent aussitôt qu’il l’avait embauchée pour lui tenir compagnie à lui. Certains faisaient courir le bruit – s’il n’y a pas quelque rivière qui déborde, quelque coup de fusil ou quelque tremblement de terre à débattre, qu’il y en a des bruits qui courent ! – le bruit courait donc que la Catherine, plus que sûr, était la fille naturelle du Monsieur. Demoiselle comme elle l’était, elle devait sortir de la haute. Alors, « femme de chambre ou fille naturelle », à vous de choisir.

La châtelaine mourut peu de temps après, le châtelain quinze ans plus tard.

La Catherine ne fit pas bon ménage avec les héritiers. Elle avait économisé quelques sous dont elle se servit pour agencer gentiment la maison que le père et la mère adoptifs lui avaient laissée, avec un jardin, un poulailler, un pigeonnier, un bout de grange pour la chèvre. On disait aussi que, des moyens, le Monsieur lui en avait laissé, en cachette de la famille des La Hitte ; on parlait même d’une fortune. Mais de fortunes, on n’en vit pas luire l’apparence.

« Qu’est-ce que tu vas faire à présent ? » lui demanda – non sans arrière-pensées – le maquignon de Mauhourat. C’était un de ces cuisiniers qui mangent à tous les plats dans les petites maisons comme dans les grandes. « Au château, tu as appris à vivre : bonne de curés ou de notaires, ça le ferait, mais tu ne vas pas t’en aller travailler à la journée chez quelque gros paysan pour gagner trois fois rien ? La Marilys faisait des coques et des crêpes à la sortie du marché ; elle l’a laissé, ça manque. » (La Marilys, quand elle était jeune, proposait aussi d’autres services mais il pensait que cela se ferait naturellement.) « Je me charge de te trouver une tablée de gourmands et ils te tiendront compagnie ces gens-là, je te le dis ! »

La maison de la Catherine s’appelait « Lou Brespè(1) » ça tombait bien ! L’idée lui plut. Aussitôt gourmands et fêtards, petits messieurs de la ville, cravatés, le chapeau plus haut que la tête, maquignons enflés de la blouse, se mirent à tourner autour du Brespè comme des frelons autour d’une poire mûre. « Je ne sais pas comment va s’en sortir la guêpe !(1) » disaient les voisins. « Bah ! Ce nom vient, expliqua un employé de la préfecture, d’un goûter au temps de la Révolution où il avait été décidé de mettre le feu au château ! » Le feu au château ? La Catherine y avait pensé quand les héritiers du Monsieur la jetèrent dehors en la faisant passer par la souillarde ! La peur du bagne lui souffla les allumettes.

Pas besoin d’allumettes pour enfumer les frelons. Elle savait les choisir et les frotter comme il fallait dans le sens du poil. Eux, ils se frottaient à l’eau de Cologne, se frisaient les moustaches, c’était à celui qui en faisait le plus pour mettre en avant son aisance financière et son savoir-vivre. A la tombée de la nuit, quand tous les chats sont gris, c’était l’heure des jeunots, chatouillés par les chatouilles du printemps. Elle les cajolait, ces maladroits, mieux que les ventripotents qui dégoulinaient de billets de banque et de sent-bon bon marché.

Son temps, comme celui de la Marilys, passa. Les petits messieurs devinrent chauves et commencèrent à traîner des pieds ; les maquignons, handicapés par leur obésité, jambes enflées et ventre mou, s’en allèrent du cœur ; les jeunots se marièrent. La Catherine finit par se frotter de plus en plus souvent le nez avec le poudrier, devant la glace : elle ne voyait sur son visage que les marques des baisers de la vieillesse. Alors elle remballa tout le monde. « J’ai de la peine mais je vais fermer. »

C’était le temps des oies maigres, long cou et grandes ailes, qui s’en vont, alignées en pointe, en klaxonnant : « Quand les grues s’en vont vers le sud, l’hiver est dessus ! » Pour la Catherine, l’hiver ne s’annonçait pas encore mais bien la basse saison.

Un automne fait malgré tout de feuilles dorées, de vendanges mûres et de miel de bruyère.

Le samedi du marché, elle s’en allait vendre quelque volaille et se payait deux ou trois coques qu’elle mangeait au bistrot. Il ne manquait pas d’amateurs pour lui proposer un verre. « Je peux me le payer, je n’ai besoin de personne. » Un jour, le proverbe d’un parisien lui parvint à l’oreille : « Toute fille de joie en séchant devient prude. » Il lui resta fiché au coeur. Médisants ! Elle s’adressa au bistrotier :                                            

  • Porte-moi un autre verre va, ces garces de coques m’ont bu tout le vin !

Un buveur invétéré, pour faire de l’esprit, lui demanda si elle attendait « le galant » ? La Catherine ne manquait pas de répartie :

  • J’en ai plus d’un de galants, pauvre idiot, mais tu n’en feras jamais partie, tu as la tête plus vide que les poches, et ce n’est pas peu dire !

Un grand éclat de rire lui donna raison. Le bistrotier lui conseilla de se faire donner par le boulanger des coques plus consistantes.

  • Comme ça, elles ne vous pomperont pas le vin et vous le boirez sans elles.

  • Tu as peut-être raison.

Le samedi suivant, comme la Catherine boudait, le bistrotier s’approcha.

  • Vous mâchez à contrecœur, on dirait, elles ne sont pas bonnes les coques ?

  • Ma fois si, mais elles sont trop sèches pour les avaler sans jus ! J’ai failli m’en ébrécher une dent. Porte-moi la chopine, sans ça je te les donne au chien !

Les autres, pour lui tenir compagnie, trinquèrent avec elle. Les coques ne pompaient plus mais la Catherine buvait. A force, elle en perdit ses esprits. Il y eut cependant quelque soûlard pour l’accompagner, cahin-caha, jusqu’au boulanger qui la ramena chez elle en faisant la tournée.

  • Eh alors ! la Catherine, lui disait-on partout où elle se rendait, qu’est-ce qu’il vous est arrivé au marché, les coques ne voulaient pas passer, il paraît ?

Cette histoire, elle ne la digéra pas. Elle était honteuse et susceptible plus qu’on ne croyait. Ni le bistrotier, ni les buveurs ne la revirent. Elle s’ensauvageait._

II

Elle avait un voisin, le Jantet, qui était veuf depuis longtemps. La Catherine avait tenu compagnie à sa femme quand elle était tombée malade – et il s’en souvenait le brave homme ! – Les mauvaises langues disaient qu’à lui aussi elle avait dû lui tenir quelque peu compagnie, mais il est plus élégant de se taire. De la voir dans cet état, ça lui faisait mal. Le jour de carnaval, il lui porta des beignets.

  • Nous sommes tous les deux seuls, c’est bête de ne plus se voir que pour les pèle-porc et les enterrements. Tu aimes les coques, moi aussi, et je les apprécie beaucoup mieux avec un bon vin.

Il détroussa une bouteille de vin bouché, enveloppée dans un journal.

  • Celui-là, il va nous accompagner comme il faut les beignets, il ne vient pas du bistrotier. Je l’ai depuis que je travaillais à Bordeaux aux traverses de chemin de fer.

Jantet avait maintenant les cheveux blancs mais il était resté athlétique : les traverses du chemin de fer y étaient pour quelque chose. Et à la Catherine, le vin de Bordeaux lui fit autant de bien, sinon plus, que l’eau de Lourdes.

Ils prirent l’habitude de se voir. Elle faisait les coques et lui vidait sa cave, peu à peu. Les coques, imbibées de Bordeaux ou de Jurançon, auraient guéri un estomac rongé par les ulcères ! Les poulets, les lapins, les pigeons, au lieu d’aller au marché, s’en allaient vers le four. Le soir, ils racontaient leurs petites histoires au coin du feu.

Les gens se mirent à en raconter aussi, des histoires. Quand la lune clignait de l’œil, il y avait toujours quelque oisif qui virevoltait autour du Brespè pour observer ce qu’il s’y passait. « Il ne va quand même pas se coller avec la Catherine, le Jantet ! » Un soir, on entendit un tintamarre d’enfer : casseroles et chaudrons, poêles et marmites frappés à coup de maillet par une clique de sauvages ! Ça se passait devant le Brespè où la Catherine et le Jantet étaient en train de faire – sans s’en faire – ce qu’ils avaient à faire.

  • Çà, c’est Baptiste de L’Escloupè ! s’écria Jantet .

La Catherine lui en avait toujours préféré quelque autre, au Baptiste, alors il avait pris les devants pour faire un charivari aux nouveaux amoureux.

Jantet saisit son fusil, deux cartouches de sel et il s’approcha par derrière des frappeurs de casseroles. Il attendit le moment où le Baptiste avait l’arrière-train bien tourné vers lui pour lui en administrer une salière où il fallait.

L’autre se mit à crier comme s’il avait été coupé en deux par un obus de la guerre de 14 ! Et il commanda, vite fait, la retraite. Non sans menacer Jantet de lui envoyer les gendarmes.

Les gendarmes ne bougèrent pas. Ce fut le curé qui s’en mêla. La Catherine le vit arriver de loin : elle n’aimait pas trop les soutanes.

  • Nous avons des visites, dit-elle à Jantet.

  • Les gendarmes ?

  • Non, le curé !

  • Vous ne pouvez pas continuer comme ça, commença à sermonner l’homme d’église. Les gens blaguent à qui mieux mieux, les enfants de chœur font des messes basses autour de l’autel et le petit-fils de Baptiste raconte des bêtises au catéchisme !

  • Et Baptiste, s’étrangla Jantet, qu’est-ce qu’il raconte, lui ? Ne le prenez pas dans votre chorale, monsieur le curé, envoyez-le plutôt faire danser les sauvages à travers l’Afrique !

  • Tu lui as quand même tiré un coup de fusil !

  • Une cartouche de sel, quelle affaire ! De quoi se faire masser sous les draps par la Léontine !

  • A votre âge quand même, provoquer ces esclandres, faire courir tous ces bruits !

  • Laissez-les courir, monsieur le curé, ils s’arrêteront tout seuls ! On va se marier, tenez ! Comme ça, tout sera dit.

  • Avec la Catherine ? s’estomaqua le curé.

  • Eh bien ! Si vous ne voulez pas le faire vous, le maire le fera, je n’ai pas peur de ça.

Il avait dit ça sans y penser, rien que pour faire bisquer le curé. De mariage avec la Catherine, il n’en avait jamais été question.

  • Ne parlez pas comme ça. L’Eglise a toujours accueilli les brebis égarées, vous le savez.

  • Egarées, égarées… il y en a de plus égarées que les nôtres, monsieur le curé !

  • De mieux tondues sans doute mais de plus poilues aussi.

  • Nous en reparlerons. Mais la Catherine ne dit rien ?

La Catherine était aussi égarée que les brebis du curé. Elle ne se voyait pas au pied du confessionnal avec un tombereau de péchés à décharger. Un tombereau rehaussé de ridelles ! Prie-dieu et pénitences, orémus en latin, elle avait tout oublié : le Monsieur de la Hitte était franc-maçon et il lui avait fait un autre catéchisme. « Toutes ces histoires, lui disait-il, ce sont des fables pour les niais ! » Le maire, ça allait, ses péchés il les connaissait par cœur : il l’avait aidée à en faire, alors… Et la robe, quelle robe se mettre ? Il avait fait fort le Jantet ! Pourquoi, au lieu du curé, ce n’était pas les gendarmes qui étaient venus ! Ҫa, c’était encore un mauvais tour de l’Escloupè !

Jantet se rattrapa.

– Ca va être le moment de parler. La retraite des chemins de fer me tombe du ciel tous les mois, comme si c’était le bon dieu qui me l’envoyait – excusez-moi, monsieur le curé. – Je veux l’en faire profiter, la Catherine. Elle n’a fait que rendre service à tout le monde, maintenant on la met plus bas que terre. Notre plus grand péché, ce sont les coques et le Jurançon. Si vous nous mariez, nous vous inviterons monsieur le curé, ce sera avec plaisir, sinon nous irons trouver le maire. Et avec les conseillers, les tape-casseroles et les gendarmes, nous ferons un grand banquet !

Le curé s’en trouva sans voix. Et la Catherine le cœur retourné. L’homme d’église réfléchissait.

  • Il faudra regarder tout ça de près. La Catherine n’a jamais été mariée… toi tu es veuf. Je viendrai demain matin après la messe et, pour la peine, vous me ferez goûter les coques avec le café. Le Jurançon, ce sera pour une autre fois. En attendant, veillez d’être comme il se doit !

Bien entendu ! Comme toujours, monsieur le curé.

Sitôt qu’il fut parti, Jantet se frotta les mains.

  • Tu as vu comme je l’ai retourné, notre curé ? Il nous mariera, je te le dis. Et ils en seront abasourdis, tous ces apôtres, les tape-casseroles les premiers !

  • Et moi, je n’en suis pas abasourdie, peut-être ? Tu ne m’en avais jamais parlé de cette affaire !

  • J’y ai toujours pensé, tu le sais.

Le fou-rire la saisit et elle saisit son mari dans ses bras.

Lou Siroû

(1) Lou brespè peut signifier en béarnais le goûter ou le guêpier de même que brèspe peut signifier après-midi ou guêpe.

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